LES ROUAGES DE L’ENGAGEMENT
Est-ce que la pensée passe par les yeux? Est-ce que le désir passe par les yeux? D’où est-ce que j’écris? D’où vient le regard?
Il est intéressant pour moi — dont la double formation de dramaturge et de musicienne pousse plutôt à écrire à l’oreille et pour l’écoute —, de poser la question du regard au théâtre et de sa conception même dans le geste de l’écriture ; la manière dont le regard de l’auteur — au sens de « point de vue sur » existe systématiquement dans une tension simultanée entre un mouvement introverti, tourné sur l’origine même du désir d’écrire et un mouvement extraverti qui auto-projette sa propre réception dans l’idée de la représentation.
Ecrire « à partir », écrire « pour ». Le texte comme monstre à mi-chemin entre les ténèbres de la pensée et la surexposition de la lumière crue. Lutte perdue d’avance s’il en est entre la tanière et la scène, entre le silence et son auto-profanation. Car y a inévitablement au départ de l’écriture d’un texte pour le théâtre, un désir paradoxal de retarder la révélation — au sens photographique du terme — de l’objet à naître et de forcer sa mise à jour.
Le texte de théâtre s’expose. Et ce faisant, il s’offre en martyr à tous les regards. Celui de l’artiste de plateau qui, recevant le point de vue originel de l’auteur est invité à inventer la nouveauté de son regard pour servir la chose qu’il devra porter en scène. Celui du spectateur aussi qui, en qualité de témoin suprême, à son tour est enjoint à discerner dans le maillage serré des points vue, la pertinence de son regard propre. Ecrire pour le théâtre reviendrait donc à penser la coexistence diffractée des points de vue sur l’oeuvre; ou à re-convoquer sans cesse la chaine des intimités se déroulant depuis le tout premier élan de l’auteur, jusqu’à la potentielle projection mentale de chaque spectateur. Mais est-il vraiment possible de prévoir ou d’organiser le regard de l’autre? Quelle responsabilité pour l’auteur? Car, si écrire pour le théâtre est un acte politique engagé qui induit une prise de risque, cela confère aussi une force certaine. Ecrire offre une position d’autorité, un temps d’avance sur les compréhensions collectives. Le temps de la solitude de la chambre. Et mal envisagé, ce temps là peut devenir un outil de manipulation des regards.
LE REGARD EN DEDANS
A une époque comme la nôtre qui, saturée d’images, pense ses modes de communication de manière essentiellement visuelle, le théâtre a deux choix. Ou bien, il abonde dans le sens d’une sur-représentation iconographique au plateau, ou bien il tente de développer l’apport d’un autre type d’images — plus intérieures — qui par leur caractère intime ravivent une mémoire picturale universelle plus enfouie, née de la sensation.